C'est étrange comme le destin peut vous jouer des tours,
vous prendre comme bouc émissaire et s'amuser à chambouler
votre vie de façon si cruelle. Tout me souriait, une vie
heureuse et sereine, un boulot passionnant, une femme adorable,
deux enfants mignons comme tout, et en si peu de temps tout
vient de s'écrouler. Assister à ma propre chute sans me
battre me semble logique, un juste châtiment, le prix à
payer pour des années d'égoïsme, de boulot acharné, de course
à la promotion, et tout cela aux dépens de ma vie familiale.
.. Anéanti, je me traîne pitoyablement comme une âme en
peine, abandonnant toute dignité. Qui s'en préoccupe maintenant
? C'est avant que j'aurais dû réagir, m'inquiéter ou sentir
venir le danger, et tout faire pour que cela n'arrive jamais.
Aujourd'hui, il est trop tard, j'ai tout perdu. De la culpabilité,
de l'amertume, du désespoir, c'est un mélange perfide de
tout ça qui me laisse sans force. Quel nom donner à ce trou
béant qui vient de s'emparer de tout mon être ? Je ne sais
pas, mais j'en connais par contre le résultat final, une
horrible vérité que je ne suis toujours pas prêt à affronter.
Je traverse le salon d'un pas chancelant, sur des jambes
lourdes qui ont du mal à me guider, comme si elles appartenaient
à quelqu'un d'autre. J'ai la désagréable impression d'être
une marionnette manipulée par une volonté pleine de bonnes
intentions, mais manquant réellement d'expérience dans son
art. Je me fais violence pour sortir de cet état végétatif
dans lequel je sombre lamentablement, fonçant sur ma télévision
d'une démarche un peu plus assurée. Ma décision est prise.
Je dois connaître la vérité, même si le mal est déjà fait.
Le seul moyen d'en être sûr est de visionner ce foutu film.
Là, j'en aurai enfin le cœur net, le triste dénouement d'une
sombre histoire. Tant de folies qui me paraissent incompréhensibles,
qui ont pris ici des proportions démesurées. C'est ce matin
de fin d'été que tout s'achève, et l'appréhension de ce
que je vais voir me fait encore hésiter. La vérité me flanque
la frousse, je ne peux le nier, mais j'éprouve la sensation
encore plus forte et plus insidieuse de satisfaire une curiosité
presque malsaine.
" Ne regarde pas, fous le camp d'ici !"
Mais au lieu d'écouter cette voix, voilà que je me penche
sur le côté de l'écran, à l'endroit où sont regroupées toutes
sortes d'entrées et sorties audio- vidéo. Je dois m'y reprendre
à trois fois avant de faire les bons branchements, ne sachant
pas trop comment relier le camescope à mon téléviseur. J'y
parviens, appuie sur la lecture. Je m'installe nerveusement
sur mon canapé, gardant d'abord les yeux fixés sur la table
basse, là où sont posés un verre et une bouteille de Martini.
Un petit remontant dont je vais bien avoir besoin… J'évite
le papier qui traîne à côté, avec ce message immonde qui
vient de me frapper en plein figure, que je viens de lire
il y'a deux minutes: " Ta femme m'appartient, elle est à
moi maintenant, et en voici la preuve. Signé, Laure." Pour
l'instant, je ne peux me résoudre à regarder l'écran. Je
ferme les yeux, retiens mon souffle, rouvre les yeux en
levant la tête. Je laisse échapper l'air de mes poumons,
avec le sentiment de fondre sur place en affrontant les
premières images. Ce n'est pas un camescope numérique, la
qualité s'en ressent péniblement. Une image affreuse, des
couleurs qui bavent, avec des défauts de granulations et
de contrastes dans les scènes sombres qui accentuent le
côté glauque et réaliste du film amateur. Je distingue un
enchevêtrement de corps nus, de membres entrelacés, de seins
et de pubis qui apparaissent dans un flou qui n'a rien d'artistique,
et pendant un long moment il m'est impossible de reconnaître
qui que ce soit. L'image tremblante se perd d'un coup vers
le plafond, si haut qu'il en est invisible dans les ténèbres,
puis redescend le long de pierres dures et lisses, couleur
grenat, faiblement éclairées par quelques torches qui brûlent
dans des niches creusées dans la paroi. Les murs sont à
peine décorés de tissus perlés et de rares sculptures en
cire, comme ces visages de femmes aux traits figés dans
un masque de luxure, abaissant leurs regards torves vers
le sol. Leurs têtes coupées forment une rangée superposée,
inclinées dans un angle grotesque, ce qui ne les rend que
plus sinistres. De toute façon, tout semble lugubre et macabre,
un décor gothique assez effrayant, renforcé par l'architecture
imposante, écrasante même. Mais le décor me semble vite
anodin lorsque l'image descend se fixe sur une dizaine de
lits immenses, recouverts de lin, posés dans le même alignement
à distance égale. Le camescope va rapidement de l'un à l'autre,
comme cherchant quelqu'un, et ce à une telle vitesse que
je ne distingue plus rien. Enfin, l'image s'arrête sur un
lit et n'y bouge plus. Un zoom plus précis se fixe sur les
personnes qui s'y ébattent joyeusement dans une mélodie
de soupirs extasiés. La chevelure flamboyante de Laure étincelle
un instant dans ce mélange de chairs impudiques, mais pas
son visage qui reste enfoncé dans la fourche d'une cuisse
féminine. En voilà une qui passe du bon temps, mais sa présence
n'a rien de surprenant, je m'y attendais. Le décor est maintenant
planté. On est là en pleine soirée échangiste, dans un pseudo
temple dédié aux plaisirs de la chair, pour de longues nuits
de débauche. Ici, les clients se livrent à toutes sortes
de perversions, parodiant quelques cérémonies antiques et
obscènes, au cours d'orgies interminables. Les grands lits
occupés par des hommes et des femmes qui gémissent et se
tordent les uns sur les autres me donnent raison à cent
pour cent. Mon cœur se serre d'angoisse lorsque l'image
plonge soudainement au cœur même de l'action, où toutes
ces peaux luisantes qui s'emmêlent me font penser à l'étreinte
sinueuse des serpents, un fouillis à la fois immonde et
voluptueux. Imaginer Mélanie dedans me procure une excitation
si vive et si inadmissible que je la chasse aussitôt. Honteux,
je m'accroche à l'espoir de ne pas trouver Mélanie, mais
je n'y crois pas trop. A quoi bon alors ce message et cette
cassette qui l'accompagnait. L'attente me devient insupportable,
et je ne peux m'empêcher pendant ce temps de laisser dériver
mon esprit en arrière. Au début, il n'y a que les ténèbres,
puis la confusion, avec l'impression de vivre simultanément
dans le passé et le présent. Quelques détails se gravent
enfin avec une précision redoutable, revenant souvent à
cette fois où on a croisé Laure dans le couloir de l'immeuble,
alors qu'elle venait d'emménager. Elle nous a fait un effet
immédiat, et apparemment beaucoup plus à Mélanie, ma femme,
ce que jamais je n'aurais imaginé. Laure est une femme qui
impressionne, qui en jette. Grande, sportive, elle a cette
énergie et cette décontraction de celles qui sont bien dans
leur tête et bien dans leur peau, et à l'aise en toutes
circonstances. Même vêtue d'un survêtement, son habit préféré,
elle dégage un sex-apple et une sensualité débordante, avec
un naturel désarmant. Son beau visage ajoute encore du charme,
elle n'a rien à jeter : yeux en amande, grande bouche pulpeuse,
nez aquilin, fossettes expressives qui accentuent son côté
espiègle et rieur. Son look rebelle ajoute encore du piquant
: cheveux d'un rouge agressif, piercing au sourcil droit,
tatouage d'un ange sur l'épaule gauche, elle affiche ainsi
un tempérament de femme libre et anticonformiste. Bref,
tout le contraire de ma femme, qui est plutôt classique,
un peu BCBG, timide et discrète en toutes circonstances,
et qui ne fera jamais rien pour se démarquer. Et, contre
toute attente, malgré leurs différences, le courant est
très bien passé, un peu trop même… Et moi, stupide et aveugle,
je n'ai rien vu, trop préoccupé par ce poste de rédacteur
en chef que je souhaitais absolument obtenir, travaillant
jour et nuit, sans relâche, délaissant complètement ma vie
familiale. Certes, ma vie amoureuse n'était déjà pas au
beau fixe, nous étions enlisé dans le triste refrain boulot
dodo, mais comment faire autrement lorsque le couple travaille
beaucoup trop chacun de son côté, avec très peu de temps
libre et de loisirs, et avec en plus deux enfants à charge
? Bon, je n'essaie pas de me trouver des circonstances atténuantes,
cela n'excuse pas tout, mais cette vie active ne facilite
pas l'intimité ou le dialogue. J'aurais dû avoir la puce
à l'oreille lorsque Mélanie s'est montrée plus indépendante,
plus émancipée, subissant l'influence néfaste de sa nouvelle
amie, sans que je m'en rende compte réellement. Et, de même,
j'aurais dû avoir des soupçons sur les orientations sexuelles
de Laure, qui ne recevait que des filles. On peut dire que
ça défilait chez elle, rien que des filles de tout genre
et toutes nationalités, dont cette immense et sculpturale
noire, Daphné, que je n'ai jamais aimé. Elle avait ce petit
air moqueur et condescendant qui veut vous rabaisser, celle-là
je ne pouvais pas me l'encadrer ! Laure, elle, était plus
avenante, même si elle me donnait l'impression de se forcer
un peu, pour mieux me tromper sans doute, pour que je ne
me braque pas contre elle et interdise ma femme de la voir.
J'aurais dû également deviner ses intentions rien qu'à sa
façon de regarder Mélanie, comme si elle voulait la manger
à la petite cuiller ! Comme j'ai été stupide ! J'ai atteint
le sommet de la bêtise humaine en laissant sortir Mélanie
avec Daphné et Laure. "Une sortie entre filles" m'a précisé
cette derniére, comme pour me rassurer ! Là était bien le
plus grand danger, et j'ai laissé faire. Mélanie était excitée
comme une jeune fille qui va faire l'école buissonnière
et découvrir enfin le monde. Pour elle, les occasions de
s'amuser sont si rares, inexistantes même, alors je n'ai
pas eu le courage de lui dire non. Ce fut la plus grosse
erreur de ma vie. C'est cette fameuse nuit, la semaine dernière,
qu'il s'est passé quelques chose, car elle fût ensuite différente.
Oui, plus aucun doute alors que j'y repense, le changement
radical s'est opéré à partir de cet instant là. Depuis,
elle se montre distante, absente, perdue dans ses rêves,
délaissant le ménage et l'éducation des enfants, fuyant
ma présence le peu de fois où l'on se voit… Je ne sais pas
ce qui lui est arrivé cette nuit-là, mais je crois que je
vais bientôt le savoir, et certainement le regretter. Je
reporte mon attention sur la télé, me concentrant sur les
images qui se font plus nettes, dans un plan plus général.
Enfin, tout m'apparaît clairement. Aucune trace de Mélanie,
et je me sens soulagé, avec l'infime espoir que je me suis
inquiété pour rien. Sur le lit, quatre femmes font l'amour
: Laure, Daphné dont la peau noire contraste violemment
sur celles de ses compagnes, et deux autres que je ne connais
pas. La scène est éclairée plus distinctement par un chandelier
à sept branches, aux lueurs blafardes. Un mouvement brusque
me signale qu'il va y' avoir du changement. Les deux femmes
inconnues bousculent sur le côté, toujours étroitement enlacées,
libérant ainsi Laure et Daphné qui en profitent pour sortir
du lit. Laure s'étire avec une grâce féline tout en regardant
fixement la personne qui filme, une femme sans aucun doute.
Les yeux de Laure sont des fentes brûlantes, et c'est comme
si elle me voyait à travers l'objectif. Je repousse ce sentiment
absurde. Elle détourne les yeux, inspectant les lieux avant
de diriger son regard dans la même direction que Daphné,
droit devant. Cette dernière se passe souvent la langue
sur les lèvres, avec des hochements de tête approbateurs.
Je ne sais pas ce qu'elles lorgnent ainsi, mais cela a l'air
de leur plaire drôlement. Elles se dirigent ensemble vers
un escalier de pierre qui s'enfonce dans la pénombre. Le
camescope suit maladroitement leur progression, faisant
en même temps un plan serré. Une magnifique silhouette,
silencieuse et immobile, s'encadre dans le champ de vision.
Je la reconnais tout de suite : Mélanie, ma femme. Mon cœur
ne fait qu'un bond.
-" Oh, non…"
Je sens monter en moi une panique irraisonnée. Evidemment,
je m'en doutais, mais jusqu'au bout j'osais croire le contraire,
avec l'entêtement de celui qui refuse la vérité. Cela risque
de modifier à jamais ma façon de vivre, m'obliger à réaliser
que l'amour peut engendrer bien des folies et des aberrations,
si loin de mes principes et de ce bon sens auquel j'ai toujours
crû … Même si ce n'est que justice d'en faire cruellement
les frais, j'aimerai avoir une deuxième chance, réparer
mes erreurs, tout recommencer à zéro. J'ai envie de crier,
tout arrêter, avertir Mélanie, la mettre en garde et lui
ordonner de s'enfuir le plus loin possible de cet endroit
décadent où l'attendent les pires sévices. Je parviens à
me maîtriser, cette réaction est aussi puérile que stupide,
je connais le résultat final et mon inquiétude n'y pourra
rien changer. Mélanie, comme inconsciente du danger qui
la guette, ne bouge toujours pas. Sa présence à quelque
chose d'irréel, de choquant. Elle n'a pas sa place ici,
elle paraît si fragile, si innocente. Sa beauté ingénue
illumine à elle seule la vaste pièce, et même l'image granuleuse
de la vidéo qui se fige sur elle ne peut l'enlaidir. Elle
est juste vêtue d'un petit slip en soie, de couleur rose,
et je devine dessous l'ombre du pubis qui se dessine. Je
me surprends encore à admirer la délicatesse de sa gorge
offerte, la douceur satinée des épaules nues, la finesse
de sa taille élancée, le galbe parfait de ses petits seins.
Comme elle est belle et désirable ! Les deux femmes qui
s'approchent d'elle sont gagnées par le même trouble, je
le sens comme si l'air était chargé d'électricité. Laure
semble fiévreuse et impatiente, elle se colle au plus prés
de Mélanie, caressant le visage de poupée avec des gestes
nerveux. Elle ne cesse de la défier du regard, arrogante
et provoquante, creusant les reins pour faire saillir sa
poitrine. Cette fille, je la déteste, mais je dois reconnaître
qu'elle est drôlement bien faite. Beaucoup d'hommes donneraient
n'importe quoi pour avoir une telle femme dans leur lit,
ce qui restera toujours un fantasme impossible à réaliser….
Même constat pour Daphné, une femme que je déteste, mais
à qui je dois reconnaître des atouts physiques non négligeables.
C'est une superbe africaine à la silhouette impressionnante,
tout en muscles et en formes généreuses, qui prend certainement
un malin plaisir à déclencher des torticolis chez tous les
mâles qu'elle croise. Pour l'instant, c'est ma femme qui
frôle le torticolis, pour d'autres raisons : elle tord le
cou pour fuir les baisers de Daphné qui se love dans ses
bras avec souplesse.
-" Si on passait aux choses sérieuses…"
Mélanie émet un petit cri étranglé, secouant toujours la
tête avec négation.
-" Non, j'ai changé d'avis, je n'aurais jamais dû venir
ici, je regrette…"
Elle s'interrompt, trop occupée à pousser des gémissements
affolés lorsqu'une langue insistante force la barrière de
ses dents pour s'emparer de sa bouche. Haletante, le feu
aux joues, elle y échappe en détournant la tête. Mais Daphné
n'est pas femme à se décourager si facilement. Elle a certainement
l'habitude de satisfaire ses envies, surtout lorsqu'elle
est possédée par un désir impétueux, livrée à ses instincts
les plus sauvages. Sous la lumière vacillante, sa chair
semble vivante, animée d'appétits lascifs, collante d'une
fine pellicule de sueur qui brille de chauds reflets, avec
une densité impudique. Daphné sourit, sûre d'elle, un sourire
carnassier et primitif, et de sa bouche entrouverte coule
un peu de salive qui humecte ses lèvres épaisses. Je ne
peux retenir un frisson d'appréhension devant un tel spectacle.
Mélanie ne fait pas le poids, si délicate et vulnérable,
une proie trop facile. Je ressens sa peur, elle me glace
d'horreur. Mélanie se révolte encore une fois lorsqu'une
bouche possessive se soude à ses lévres, la forçant à réagir.
Elle se tortille en reculant, évitant la bouche exigeante.
A petits pas, en titubant, elle réussit à atteindre l'escalier.
Peine perdue. Laure l'a devancée, plantée devant les marches,
l'air farouche, les bras croisés avec détermination. Mélanie
essaie de la contourner, luttant toujours contre Daphné
qui ne lâche pas prise, mais Laure ne bouge pas d'un millimètre,
tel un obstacle infranchissable.
-" Laissez-moi, je veux partir !" implore Mélanie d'un
ton plaintif.
Durant quelques secondes, je regarde cette scène, en proie
à une fascination morbide. Je suis mortifié. Je me rends
compte que je répète depuis un moment la même phrase : "
Ce n'est pas vrai, ce n'est pas vrai…" sur un ton monocorde,
comme un demeuré qui ne veut pas se résigner à accepter
l'horreur de la situation. Ce sentiment d'impuissance me
fait trembler, j'en ai la chair de poule, l'estomac retourné.
Un instant, l'idée de me lever et d'arracher le camescope
du téléviseur se fait tenace. Je tords nerveusement mes
doigts entrelacés au risque de les briser, mais je suis
incapable d'effectuer le moindre mouvement. Je reste paralysé,
comme hypnotisé. Et je reste là, les coudes sur les genoux,
la tête entre les mains, réalisant tout juste que les larmes
ruissellent depuis un bon moment sur mes joues, des larmes
épaisses et abondantes qui ne pourront jamais effacer toutes
mes erreurs passées et toute l'horreur d'un destin déjà
écrit. Devant mes yeux incrédules, Mélanie ne cesse de lutter,
poussant des petits cris de protestation. Sa situation est
désespérée. Elle est prise en sandwich, malmenée par les
deux femmes qui s'excitent de sa rébellion. Les trois corps
ne font qu'un, d'autant plus que la définition de l'image
se détériore de plus en plus. La voix sèche de Laure claque
au milieu de leurs halètements, sifflante et haineuse :
-" Mélanie, fais pas chier ! Me prends pas pour une débile,
il y' a longtemps que je ne crois plus à ton numéro de vierge
effarouchée, ça ne prend pas… Allez, viens !"
De force, elles la saisissent par les poignets et la traînent
vers le lit. Toutes les trois passent à proximité du camescope,
et les détails se font brusquement plus précis, un court
instant. Mélanie semble réellement effrayée. Son visage
est livide, creusé par l'angoisse. Les yeux tremblants,
elle ne peut retenir les larmes qui coulent sur ses joues,
et je la trouve encore plus émouvante dans son désarroi.
A cette constatation s'ajoute du dégoût pour moi-même. Comment
puis-je ressentir de l'attirance pour elle dans un moment
pareil ? Mélanie cherche des yeux un secours, jetant un
appel désemparé à celle qui filme la scène. Peine perdue.
Le visage de Laure apparaît une brève seconde en gros plan,
et j'y lis une telle expression de joie perverse qu'une
brusque envie de meurtre me saisit. Consterné, je ne peux
que garder les yeux rivés sur mon téléviseur. Mon cœur bat
davantage la chamade en suivant le combat puéril que livre
Mélanie pour échapper au sort qui l'attend. Elle se démène
comme elle peut, brusquement jetée sur le lit et aussitôt
recouverte par les deux femmes inconnues qui comptent bien
faire beaucoup plus que mâter. Laure et Daphné les rejoignent
impatiemment. La mêlée en devient désordonnée. La lutte
est faiblement éclairée par les lueurs ternes des bougies,
et cela en donne un aspect indiciblement plus menaçant.
Un instant, je ne sais comment, Mélanie parvient à faire
tomber les deux femmes inconnues aux pieds du lit. Celles-ci
se relèvent, hésitent, en proie à quelques remords, puis
disparaissent du champs de vision. Durant ce temps, Mélanie
tente vite sa chance, se tortillant pour fuir, cambrant
les reins et s'aidant des pieds et des coudes pour ramper
sur le dos, mais Laure et Daphné restent solidement accrochées
à elle comme des pieuvres affamées. C'est cette dernière
qui la ramène vers le milieu du lit, l'agrippant nerveusement
aux hanches et l'attirant à elle. Installée entre ses cuisses,
elle l'oblige également à garder les jambes ouvertes. Sa
situation ne fait qu'empirer lorsque Laure lui saisit les
bras pour les maintenir solidement écartées. Mélanie a beau
protester de toutes ses forces, sanglotant de détresse,
hérissée de la tête aux pieds en bondissant convulsivement,
elle ne s'en retrouve pas moins étendue et offerte, bras
et jambes en croix. Son visage, avant de disparaître, m'apparaît
brièvement, avec cette même expression hébétée et apeurée
dans ses yeux débordant de larmes. Mon indignation ne fait
que croître. Celle qui filme ce viol ignoble semble bouger,
se rapprochant pour ne rien rater du spectacle. Du coup,
les cadrages deviennent instables, partant dans toutes les
directions, du sol au plafond. Enfin, l'image se stabilise
sur le lit, mais des problèmes de mise au point rendent
l'ensemble si abstrait que j'en ai mal aux yeux. La femme
jure, se démenant comme un diable avec la vidéo qui lui
cause bien des soucis. Brusquement, c'est le noir absolu.
Plus rien.
-" Merde !"
Elle vient de faire une fausse manipulation. Le son se
fait entendre, fort et distinct, mais toujours pas d'image.
Quelle conne cette fille, quelle incapable ! Je dois me
contenter d'écouter et de deviner ce qui se passe. Pour
l'instant, ce n'est pas trop difficile, ce ne sont que des
bruits de lutte et de bataille. Puis, soudain, j'entends
le claquement d'une gifle retentissante et la voix essoufflée
de Daphné :
-" Laisse-toi faire ou je te jure que tu vas le regretter
!"
Un sanglot lui répond. La voix de Laure est plus douce,
plus rassurante.
-" Chut, détends-toi, ma jolie, laisse-toi aller, tu ne
le regretteras pas…"
-" Non !" gémit Mélanie.
Sa protestation est étouffée par le bruit d'un baiser vorace.
Ensuite, il n'y a rien d'autre que des froissements et des
souffles haletants.
-" J'aime ta bouche. Embrasse-moi !" lui ordonne Daphné
sur un ton plus impérieux.
Rien n'y répond, excepté des bruits de succions humides
et de respirations oppressées. Il y' a également des frôlements
de mains glissant sur les peaux nues, des corps qui s'agitent
furieusement.
-" Non, non, pas ça !" supplie soudainement Mélanie.
-" Sage, gentille, ne bouge pas… Voilà, c'est mieux…" lui
murmure doucement l'africaine.
-" Arrêtez !"
Mélanie crie, puis bouge violemment. Tout d'un coup, elle
cesse de se débattre. Sa respiration s'accélére, courte
et saccadée, ainsi que celles des autres femmes qui ne cessent
de s'activer plus ardemment. Daphné prend plaisir à parler,
s'excitant de ses propres paroles.
-" Tu aimes qu'on te lèche les seins, hein ? Oh, oui, je
les sens durcir…" halète t-elle.
Un léger râle lui répond, noyé par de puissants soupirs
qui montent et résonnent dans la pièce.
-" Hm, c'est bon, ta peau est si douce… J'aime son odeur.
" Mélanie semble suffoquer, hoquetant entre des pleurs
et des suppliques de plus en plus faibles.
-" Ne faîtes pas ça, je vous en prie, c'est mal…"
Soudain, elle pousse un cri stupéfait, purement sexuel.
Cela brise net sa mutinerie, encore une fois. Puis le silence
revient, entrecoupé de baisers, de frottements, de soupirs.
Cela dure une éternité il me semble, avant que je n'entende
la voix rauque de Laure :
-" Oui, continue, écarte-lui les cuisses, elle y prend
goût la salope ! C'est ça, mets-y la langue, elle commence
à fondre… Hm, c'est bon !"
Elle semble encourager Daphné à persévérer, la guidant
au mieux pour que Mélanie cède à leurs assauts lubriques.
Leurs efforts semblent porter ses fruits. Mélanie exalte
un soupir plus fort qui me fait sursauter. Son râle s'achève
en feulement continu, un son délicieusement sensuel. J'entends
en même temps des bruits de clapotis qui s'accélèrent. Je
sens une bouffée de chaleur m'envahir. Cette étreinte primitive,
complètement suggérée, est d'un érotisme assez perturbant.
C'est cent fois plus excitant que si chaque détail était
dévoilé dans sa vérité la plus crue. Je suis partagé entre
l'indignation et un trouble insidieux, et surtout le dégoût
de moi-même pour tout ce que cela m'inspire. Mon imagination
s'enflamme, osant deviner les positions les plus incongrues,
les caresses les plus expertes, comme seules les femmes
apparemment savent le faire. Leur connaissance est illimitée,
leur savoir incomparable, elles vont réveiller chez Mélanie
des appétits insatiables, exacerbant ses sens à l'en rendre
folle, des sensations qu'elle n'a jamais exprimées avec
moi. Notre vie sexuelle se limitait, ces dernières années,
à des étreintes fugaces, du sexe bâclé, une à deux fois
par mois, parce que nous n'en avions ni le temps, ni l'envie,
ou ni les deux à la fois. C'était fait sans passion, dans
la retenue et la pudeur, en parfaite harmonie avec notre
tempérament introverti. Apparemment, il brûlait en elle
un feu secret qui ne demandait qu'à s'enflammer, et que
seule une femme semblait pouvoir réveiller. Laure et Daphné
semblent conscientes de l'opportunité qui leur est offerte.
Leurs soupirs me parviennent comme des ricanements déjà
victorieux, des rires sournois, la mélodie de goules affamées
qui entraînent leur proie vers les ténèbres, dans les plaisirs
ultimes. La respiration puissante comme une locomotive de
Daphné fait crachoter le micro du camescope, rendant le
son désagréable, comme si elle soufflait tout prés. Elle
articule difficilement :
-" C'est chaud, oui, tu mouilles comme une chienne en
chaleur, ça coule entre mes doigts… Ne résiste pas, c'est
bien, tu vas perdre, oui, tu vas perdre !"
Le dernier mot est étouffé et inaudible, comme si sa bouche
était activement occupée, ce qui est certainement le cas.
Laure rugit :
-" Mélanie, embrasse-moi, vite !"
Leur baiser est si violent que j'entends des dents s'entrechoquer.
C'est un baiser fougueux, interminable, que l'une d'entre
elles interrompt enfin parce que le souffle lui manque.
Peu après, la voix de Mélanie surgit, forte et hystérique,
avec une telle fureur que j'ai du mal à la reconnaître
-" Je viens… Oui, je viens… Plus vite, plus vite !" crie
t-elle. Je devine des déplacements impatients, des corps
qui changent de position, d'autres qui se tordent comme
des vers grouillants, des bonds déchaînés qui font trembler
le lit à en casser les ressorts. Fin du premier épisode.
Lecteurs et public averti, donnez votre avis et votez pour
la suite. Mélanie a de brusques remords et réussit à s'enfuir.
Tout rentre dans l'ordre, elle retrouve son mari pour un
happy end heureux. Dans ce cas-là, la morale est sauve.
Ou n'écoutez plus votre cœur, encore moins la raison, et
vous décidez qu'elle perd le contrôle, assouvit ses envies
jusqu'au bout, emportée par une incroyable crise érotique
qui transformera à jamais sa vie sexuelle et, aussi, brisera
à jamais sa vie de couple.
La raison ou le péché ? A vous de choisir…
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