Début novembre 99, un vendredi soir plutôt frisquet
de ce mois des morts. Cela faisait cinq heures que la nuit
était tombée sur le village. Au loin, trois adolescents
marchaient tranquillement. Ils profitaient du temps plutôt
frais pour se promener, sans but précis. A quelques mètres
devant eux, on avait l'impression que la route n'existait
plus, que la brume l'avait dévorée. C'était une vision particulièrement
étrange.
Les phares trouaient la nuit, l'éclairage blafard des lampadaires
ne suffisait pas à donner un quelconque aspect encourageant
ou rassurant au lieu. Deux jeunes adolescents montent sur
une moto. Vaincus par la curiosité avides d´aventures morbides,
le jeune garçon donna pourtant le signal de la charge, d´une
poignée dans le coin qui fit rugir les quatre cylindres
de sa Yamaha 900CC. Une violente ruade du monstre d´acier
failli désarçonner la jeune fille qui était monté en croupe.
La moto à fond de régime rebrousse chemin sur le boulevard.
Arrivés devant le grand portail rouillé du cimetière, Michael
s'arrêta brusquement et stoppa. Le jeune garçon dépila sa
béquille, se défit de son casque qu´il posa sur la selle.
- Ça va, mon amour ?
- Que voulez-vous, j'étais plus ouverte sur les plaisirs,
j'avais besoin de ce contact avec le monde animal. Peu importait
l'endroit, peu importait que je ne sois pas non plus en
compagnie d'un apollon.
- Il y a des jours comme ça, c'est plus fort que vous, l'envie
est trop pressante. Et puis dans le petit sac dont je ne
me sépare jamais, j'avais aussi une boîte de préservatifs
achetée à la gare routière avant de partir, preuve que j'avais
quand même une toute petite idée derrière la tête. Après
tout je n'ai même pas à me justifier, c'est important dans
la vie, TRES important, c'est pour ça qu'on en parle et
qu'on en a envie. Les morts ne le font pas, c'est pour ça
qu'ils sont tristes, ils doivent se contenter de
la fusion des âmes dans leur monde éthéré !
Les deux jeunes amoureux Jefferson et Louise s'y trouvent.
Elle poussa un petit cri de surprise mais se laissa emmener
par son copain qui franchissait déjà l'entrée et marcha
vers l´intérieur, imitée de la jeune fille qui lui collait
comme son ombre. Dans le cimetière, seules quelques croix
en métal ou en pierre sortaient au-dessus de cet épais brouillard.
Michael contournait les tombes, pénétrant davantage dans
ce dédale mortel. Il avait avec lui Louise et lui tenait
fermement la main. Puis elle s'engagea dans l'allée principale,
appelant au passage Alex qui lisait les inscriptions sur
les pierres tombales.
- Ce cimetière avait probablement été le théâtre d'un de
ce type d'événement exceptionnel et rarissime qui se serait
déroulé ici, mais dans un autre monde, dit Louise.
- Tu pensais à quoi ?
- Non. A rien. Rien du tout.
Il eut un sourire crispé, elle était très étonnée du comportement
étrange et inhabituel de son copain. Mais ils continuèrent
quand même leur promenade nocturne. Le parfum éphémère d'une
rose laisse parfois la place à un souvenir bien amer.
Un soir de toussaint un cimetière ressemble à une exposition
d´un noir vernissage. Jefferson se tiens debout devant trois
tombes sous une arbre beau comme un cercueil qui pousse,
Arrivé à la première tombe, il ne trouva pas mieux que de
lire l'épitaphe gravée en lettres d'or sur la pierre tombale.
Il remarqua que la date de décès était inscrite le nom de
Jim Morrison du groupe de Rock "The Door" décade de 60.
Ses yeux fixes sur le cliché s´ enténèbrent davantage encore
à l´heure d´hiver. Leur divers portraits se veulent d´un
reflet ambre qui les maquillent et en souligne que des silences
creux, pour tenter d´oublier cette triste divise de temps
des amours morts. Au bout d´un moment de silence, Jefferson
rejeta la tête en arrière et soupira longuement, profondément.
Lorsque la nuit était bien sombre et bien inquiétante, il
scrutait les alentours pour essayer de déceler quelque présence
mortuaire.
- Nous avons un scénario "Trash", mon amour.
Alors des frissons glacés lui zébraient invariablement le
dos, lui faisant perdre toute contenance et tout sang froid,
mais quelque part il faut dire qu´il adorait cette sensation
de frayeur. Puis il saisit Louise par la main et l´aide
à monter sur la tombe d´astre du Rock qu´il était excite
pour l´idée de faire amour là. Louise a des rires spasmodiques,
hystérisée par cette peur aux relents d'innommable. Que
savaient-ils de l'amour, la nuit fatale, maléfique, où sans
le savoir ils le concurrent ? Que savaient-ils d'eux-mêmes
? L'un de l'autre ? Rien.
- Louise, j'ai envie de toi, je t'aime.
- As-tu envie de moi ?
- Euh oui, si tu veux".
Mais de toute façon Louise le voyait bien qu'il avait envie
d´elle, de même qu'elle devait bien se douter que Jefferson
désirait un peu plus qu'une simple câlin sur le sein droit.
Alors ses mains descendent lentement le long du dos et des
hanches étroites, partant à la rencontre des fesses rondes
et musclées. Alors sans lui laisser le temps, la voilà qui
ôte d'un coup d'un seul, et son minishort et sa petite culotte,
entraînant pour l'occasion ses deux " shoes ". Et voici
votre cochonne, à poil sous la lune et nue sur une tombe.
- J'espère que ça ne te dérange pas au moins !
- Oui, seigneur tout puissant, je suis l'envoyée de malin
et je vais m'offrir en ce lieu sacré". Débauche et bacchanale,
je n'ai peur de rien, même pas des flammes de ton enfer
! Mieux vaut de toute façon souffrir en enfer que retourner
insidieusement au néant ! Et en dessous il y avait le caveau,
les squelettes, les âmes des trépassés. Peut-être étaient-il
en train de nous observer, d'un oil bienveillant, en regrettant
la vie, en regrettant de ne pas en avoir suffisamment profité,
on en profite jamais assez ! Et puis surtout ils trouvaient
ça beau. Louise aime sa façon de se prononcer durant l'amour,
comme elle aime les grandes mains qui savent se faire si
douces pour envelopper, caresser, soupeser les rondeurs
de sa féminité, qui deviennent si curieuses pour délicatement
explorer les petits recoins et les secrets de son corps,
pour pénétrer ses ultimes défenses afin de venir barboter
dans son nid d'amour qui se change aussitôt en une fleur
obscène : gonflée, ouverte, inondée par le désir. Elle éprouve
alors le besoin physique d'entourer de sa main la tension
de son membre, dur, doux, chaud, fort, tendre, impérieux,
fragile, tout ce qu'il est aussi lui-même ; elle se saisit
de lui et commence par gentiment le serrer, se déplaçant
sur toute sa longueur, comme pour le calibrer et en apprécier
le volume et les contours ; c'est que c'est une fort belle
pièce ! La première fois, elle en a même éprouvé quelques
inquiétudes, mais elle s'est vite rassurée. En réalité la
dimension de ses amants ne l'a jamais passionnée, mais puisque
c'est celui de son homme, elle apprécie de retrouver ce
sexe large et fort qui l'écartèle délicieusement.
Le sexe est encore recouvert par la main qui trompe l'impatience
du ventre. Louise l'écarte doucement. La légère toison blonde
ne cache rien de la fleur toute rose. Elle est déjà largement
ouverte, pleine de mouille, scandaleuse : une indécence
de luxure délicate et vulnérable, réclamant son dû, aspirant
à être dévastée. Il massait d'abord les grosses lèvres en
lents mouvements circulaires pour ensuite dégager les petites,
l'ouvrant de deux doigts experts qu'il introduisait précautionneusement
à la fin, jamais avant que la puissante mécanique du désir
ait tout inondé. Deux corps qui se chevauchent, deux corps
bien emboîtés et tout cet amour, tout ce plaisir, toute
cette vitalité qui désormais leur échappait, eux perdus
dans l'univers de la pensée pure, froide et figée. Elle
jouit intérieurement de lui abandonner son ventre. Un peu
plus tard, elle était laminée, empalée, défoncée suivant
les saints sacrements et avec la bénédiction des diacres
et des chambellans. Et mes yeux révulsés percevaient dix
mille chandelles.
C'était un assez bon amant qui allait droit à l'essentiel,
pourvu d'un bon "aller-retour" et allant au plus profond
des choses. Louise trouvait ça émoustillant de se faire
baiser avec ce marbre froid sous son corps. Est-ce l'attrait
mystique de ce temple profané mais mon copulateur me faisait
jouir à répétition et je demandais grâce alors que lui semblait
infatigable ? Il l'a fait retourner à quatre pattes, elle
n'en pouvait plus. Saillie comme une bête, le retour à la
nature, l'essentiel du plaisir. Enfin il s'est effondré
sur elle en ahanant, en hurlant à la lune. Dans le lointain,
des chiens errants aboyaient en retour. C'était beau la
vie, vraiment très beau, ça donnait envie de recommencer,
encore et toujours, de tout dévorer à pleines dents. Justement,
il lui restait encore sa bouche et lui la sienne et toute
la nuit devant eux et encore tout plein de choses à explorer
!
Dans ce moment Louise a surpris par la suite à balancer
discrètement quelque chose entre deux tombes. Par être précise,
la tombe d´Allain Kardec :
- Qu'est-ce que tu fais là ? Qu'est-ce que c'est que ces
manigances ?
Jefferson la regardait en rigolant bêtement après ce bon
moment qu´ils avaient passé ensemble.
Au loin, quelque chose bougea et se cacha derrière une tombe.
Puis, indiquant les tombes :
- Qui est là ? Merde ! demanda-t-elle d'une voix tremblante.
Elle avait un désagréable sifflement dans la voix. La chose
se mit dans l'allée centrale. C'était une ombre tout en
longueur et d'apparence humaine qui ne bougeait pas.
- Ne dis pas de bêtise.Viens à moi, je veux un gros câlin,
continua-t-il.
- Que vont-ils penser si tu salopes leur lieu de vie ? Il
faut les respecter, ce sont nos ancêtres, ce sont eux qui
nous ont donné la vie. Il faut garder la tête haute pour
quand nous les rejoindrons. Qu'ils disent de nous "Ils ont
baisé sur nos tombes certes, mais ils ont pris soin de nous.
Ce n'était pas des méchants, des dégueulasses, ils voulaient
simplement profiter de la vie, de ce qu'elle a de meilleur".
Tu comprends ? C'est important, même s'ils ne disent rien
parce qu'ils restent discrets, ils comptent quand même sur
nous pour perpétrer la vie.
Jefferson et Louise essayaient de courir, en vain. Ils sentaient
qu'on les suivait. Mais il ne se retourna pas, cette fois-ci.
Jefferson ne vit pas les morts sortir lentement, les uns
après les autres, de leur tombe, déployant difficilement
leurs membres ankylosés, et se remettre à marcher après
de nombreuses années. Sur ce Ils sont sortis sans un bruit
de leur demeure en leur disant "Au revoir". A l'autre bout
du cimetière, un feu follet s'est mis à clignoter : C'est
bien la preuve qu'ils existent quand même. La brume était
encore là. deux adolescents marchaient sur la route. Il
faisait nuit. Au loin, on avait l'impression que la brume
avait dévoré le chemin. Arrivés le portail de sortie du
cimetière du village, Maintenant dehors.
- Comment savez-vous si la terre n'est pas l'enfer d'une
autre planète ? Demanda Louise excitée de l´expérience.
II
Ce qui avait impressionnée Louise, c'est cette histoire
des fantasmes du Père de la Chaise. Elle en rêvait même
la nuit, des cauchemars particulièrement effrayants, et
elle se réveillait en sueur, tremblante de tout son corps,
l'âme des morts gazéifiée qui la poursuivait dans cette
terreur insidieuse. C'était comme les caves, les tombeaux,
les rats, les cercueils, toutes ces choses qui suintent,
tous ces vers qui grouillent, surtout ces énormes mollusques
qui se tortillent dans tous les sens. De les imaginer rentrant
et sortant des cadavres putrides, par les trous de nez,
quelle horreur ! Ou investissant sa petite chatte et la
dévorant de l'intérieur. Il fallait qu´elle se lave, à grands
jets, au risque de lui bousiller les muqueuses, qu´elle
soit sure que ça n'arriverait pas, jamais ! Un membre gangrené
on peut toujours le couper, mais quand la pourriture t'envahit
de l'intérieur, c'est fini. Le pire dans tout ça ce n'est
pas de retomber en poussière, c'est de devenir comme un
gros concombre pourri, tout flasque, tout molasse, tout
spongieux, tout dégueulasse, investi par les parasites.
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