Fabrice découvrait la passion. Et c'était beau bien sûr.
Les premiers jours furent un enchantement parsemé de délices
particuliers : Aurélien dans les bras de sa nana du moment,
à quelques mètres de lui, dans le hall de la fac, et lui
souriait à l'insu de cette dernière ; Aurélien le caressant
du regard pendant le cours de droit constitutionnel ; Aurélien
passant derrière lui assis et subrepticement lui glissant
une main dans les cheveux qu'il avait fait couper trois
jours avant et dont il avait dit que maintenant ils lui
appartenaient... Tout ça portait Fabrice au ravissement,
et l'excitait au point que quelquefois, entre deux cours,
il courait aux toilettes se soulager dans une masturbation
mal faite mais qui lui permettait au moins de retrouver
temporairement une accalmie somme toute bienvenue.
Sans doute quelqu'un de plus expérimenté aurait pu lui
dire de se méfier tout de même un peu de cette emprise soudaine
et grandissante d'Aurélien sur sa personne. Comme cette
histoire de coupe de cheveux. Elle avait indiscutablement
quelque chose d'étrange. D'ailleurs Fabrice lui-même n'aurait
pas osé la raconter. Il sentait trop combien il y avait
là quelque chose de risible, de presque ridicule à dire.
Pareille pour cette fessée qu'Aurélien lui avait promise
d'une voix douce à l'oreille alors même qu'ils étaient enlacés
dans une étreinte toute d'amour et de tendresse. Ce mot
« fessée » dit par Aurélien, Fabrice se le répétait dans
sa tête ; cette punition normalement réservée aux enfants
et qu'il lui avait présentée comme un cadeau, une récompense
à venir, il en imaginait des mises en scène possibles, mais
chaque fois les pensait impensables.
Bientôt, avant la fin de la semaine, il eut hâte de se
retrouver en tête-à-tête avec Aurélien, mais n'osa pas le
demander. D'ailleurs mieux valait attendre, que cela vienne
d'Aurélien lui-même. Fabrice en était sûr, il ne fallait
rien provoquer. Il n'oubliait pas ce qu'avait dit Aurélien,
ce qu'il lui avait avoué après la séance chez le coiffeur,
cette attirance particulière qu'il avait eue pour ses cheveux
longs, ce désir qui mine de rien et petit à petit l'avait
débordé et finalement amené à se révéler... Il fallait penser
et repenser tout ça, il devait y avoir quelque chose à comprendre.
La vie ne pouvait pas lui avoir donné cet amour-là, le seul
vrai amour de sa jeune vie, pour le lui retirer tout de
suite...
Fabrice s'épuisa vite. En masturbations bâclées, en questions
lancinantes, en doutes irréfutables, en espoirs ratatinés,
en calculs compliqués et incessants. Le week-end qui s'amenait
lui parut au vendredi soir une traversée impossible à faire
seul, un désert dont il ne sortirait pas vivant. D'autant
qu'il allait falloir faire bonne mine. C'était aujourd'hui
son anniversaire et on l'attendait chez papa maman. Heureusement
il y avait Isabelle...
Ce fut justement elle qui, le voyant arriver, s'étonna
à voix haute de cette nouvelle coupe de cheveux. Ce fut
elle aussi qui comprît à l'embarras de Fabrice soudainement
écarlate, que quelque chose n'allait pas. Elle le connaissait
bien, le petit frère. C'est à elle, et à elle seule, qu'il
devait sa deuxième naissance. Il devait à l'époque avoir
dix-sept ans, à peine. Elle l'avait alors sorti in extremis
et comme à bout de bras d'une mort douce qu'il avait provoquée
un soir en s'immergeant avec les médicaments dans un oubli
définitif. Le lendemain, il lui avait confié les doutes
qu'il avait quant à sexualité, mais aussi ses souffrances,
ses peines de cœur inaperçues des autres mais pourtant
tellement envahissantes qu'il avait préférer s'en débarrasser
une fois pour toutes et avec tout le reste. Quatre ans étaient
passées, mais toujours depuis elle avait gardé sur le petit
frère son oeil protecteur, veillant, l'air de rien, à ne
jamais sous-estimer chez lui le moindre signe d'une lassitude
dans le regard, d'un chagrin au bords des lèvres. Elle profita
d'une absence momentanée des parents dans le salon pour
l'aborder mieux :
- Tu vas bien toi ?
- Oui...
Elle s'approcha tout près de lui, jusqu'à le prendre dans
ses bras, et lui parla plus doucement :
- Tu veux qu'on cause un peu ?
Il n'en fallut pas plus pour que Fabrice se mît à pleurer.
Il voulut fuir, se dégager, surtout pour ne pas alerter
les parents, mais Isabelle l'enserra davantage et ne lui
laissa pas d'autre choix que l'abandon. Il s'abandonna bruyamment.
La maman débarqua pour voir ce qui se passait. D'un signe
de la main, Isabelle lui fit comprendre qu'il convenait
pour le moment de retourner à la cuisine et de les laisser
seuls. Elle se contenta d'abord de l'écouter pleurer puis,
voyant que ça n'en finissait pas, l'entraîna dans le jardin.
Dès qu'il fut un peu calmé, elle y alla franchement, à
sa façon :
- Comment il s'appelle ?
- Aurélien...
- Et il sait que tu l'aimes ?...
- Oui...
- Il est homo ?
- Non, je crois pas...
- Comment ça « je crois pas » ? Vous n'en avez pas parlé
?
- Non...
Elle sentit que ça allait être long. Il était comme ça,
Fabrice, il fallait lui tirer les vers du nez un par un.
- Tu ne veux pas tout me dire maintenant ?
- ...
- C'est si compliqué ?
- Oui...
- T'es capable de passer le repas comme si de rien n'était
? Après tu viens chez moi et on parle, ça te va ? C'est
possible pour toi ?...
- Oui...
La soeur arrangea le coup comme il fallait, expliqua aux
parents, d'ailleurs pas dupes, que Fabrice avait une peine
de coeur et qu'elle s'en occuperait plus tard. Le repas
se déroula plutôt bien. Enfin et surtout, un petit miracle
eut lieu dans la voiture d'Isabelle. Fabrice reçut un texto
signé d'Aurélien qui lui souhaitait un bon anniversaire...
Confortablement installé devant un bon thé chaud, la tête
pleine de son texto qu'il avait lu une bonne dizaine de
fois, Fabrice raconta tout à Isabelle, y compris la fameuse
coupe de cheveux chez le coiffeur crade et la fessée promise
après la sodomie à venir. Isabelle l'écouta sans l'interrompre,
et prit un bon temps de réflexion avant de lui donner son
point de vue :
- Franchement, je crois que ce gars n'est pas simple...
Si tu veux mon avis, c'est un homo qui s'assume pas, ou
en tout cas très mal... Visiblement, il avait besoin de
t'humilier pour coucher avec toi... En fait, il te punit
de l'attirance qu'il a pour toi, non ?... Tu ne devrais
pas accepter ça, je ne crois pas... enfin, ce que j'en dis...
je sais pas... Si tu le laisses faire, tu vas en baver,
c'est l'impression que j'ai... Tu es trop tendre pour jouer
à ces jeux-là, laisse ça à d'autres... Apprends lui plutôt
à te respecter, à s'assumer, à t'aimer vraiment... T'as
répondu à son texto ?
- Non...
- Attends demain, demain soir... Te précipite pas... Renverse
la vapeur, et n'aie pas peur, il t'aime, c'est sûr...
- Tu crois ?
- Evidemment ! Pourquoi tu doutes autant de toi ?
- Mais il a une nana...
- Et alors ? Elle ne lui apportera jamais ce qu'il trouvera
avec toi... Et puis, cette nana, c'est pas ton ennemie,
vous aimez le même gars, vous avez les mêmes goûts, et pour
l'instant il a besoin de vous deux...
- Mouais...
- Parle-lui, dis lui que tu l'aimes, que tu l'aimes vraiment,
mais que c'est pas pour autant que tu as l'intention de
souffrir...
Le lendemain, rempli de l'assurance d'Isabelle, il occupa
sa journée tranquillement, à bouquiner un peu, à marcher,
à ranger son studio, et n'envoya son doux texto d'amour
qu'à 22 heures, juste avant de se coucher. Moins de dix
minutes plus tard, le portable sonna. Fabrice voyant « Aurélien
» s'afficher à l'écran, n'en fut qu'à peine surpris, faillit
même ne pas répondre, et finalement décrocha. Aurélien voulait
savoir s'il pouvait passer maintenant.
- Là, maintenant ?
- Ben oui, pourquoi, y a un problème ? T'es pas tout seul
?
- Non, c'est pas ça, mais...
- T'inquiète, j'arrive...
Aurélien avait raccroché là-dessus. Fabrice tout de suite
appela Isabelle.
- Quand même, il doute de rien, ton Aurélien... En tout
cas, il se bouge, c'est l'essentiel... Toi, lui fais pas
la gueule, cache pas ta joie, mais sois pas concon non plus,
te laisse pas faire... T'as des capotes ?
- Ouais...
- Alors t'en mets ! T'entends ? Quoi qu'il se passe, t'en
mets ! Et, tu sais, j'ai bien réfléchi à tout ce que tu
m'as dit... N'accepte que les caresses et les gestes d'amour,
refuse les coups, t'as 21 ans, t'es beau comme un cœur,
il t'aime, tu l'aimes, joue pas à ça...
Aurélien arriva en tambourinant sur la porte, sitôt la
porte ouverte entra comme en terrain conquis et s'affala
sur le petit canapé deux places :
- J'étais sûr de te trouver à poil... Tu t'es rhabillé
ou quoi ?...
- T'es vraiment très beau, ce soir...
- Merci...
Dommage, pensa Fabrice, qu'il ait eu ce petit sourire narquois
pour dire merci.
- T'as réfléchi à ce qu'on a dit ? T'es toujours d'accord
? questionna Aurélien pâlissant légèrement.
- De quoi tu parles ?
- Arrête tes conneries, tu sais très bien...
- On a dit tellement de choses... on dit toujours tellement
de choses quand on baise... Et toi t'as réfléchi à ce que
je vis depuis une semaine ?
- Oui...
- Et alors, ça donne quoi, selon toi ?
- Je sais pas, je suppose que tu m'as attendu, et que tu
t'es bien excité en m'attendant... Moi, en tout cas, j'ai
fantasmé un max...
- Moi ça fait des années que j'attends...
- Mais qu'est-ce que t'as ? De quoi tu me parles, là ?
Des années que t'attends quoi ?
- Un mec bien...
Fabrice déboutonna tranquillement sa chemise.
- Ah ben quand même ! fit Aurélien en retirant son blouson.
Je commençais à me demander à quoi tu jouais...
Fabrice ôta son pantalon, son caleçon, ses chaussettes,
et se glissa sous les draps. Aurélien ne le quittant pas
des yeux en fit tout autant, et aussitôt à ses côtés l'embrassa,
lui déposa mille baisers mouillés sur le visage tout en
frottant sa verge déjà bouillante contre la sienne. Fabrice,
la tête enserrée par les deux mains qu'il aimait, se sentit
tellement adoré, désiré, qu'il en fut surpris. Il y avait
dans tout le corps d'Aurélien une telle nervosité, une telle
fougue, que Fabrice se mit à lui parler comme s'il s'était
agi de calmer un animal. « Tout doux, tout doux » lui dit-il.
Et de ses mains sur ses flancs frémissants le caressa. Aurélien
glissa des lèvres à la poitrine de Fabrice qu'il lécha toute
entière jusqu'au nombril. La queue de Fabrice, tendue à
l'extrême, gorgée de son sang chaud, droite pointée sous
la gorge proche à effleurer son gland, s'énervait de sa
fièvre, comme si elle s'exaspérait, sa queue, de n'avoir
pas de mains à elle pour saisir ce beau visage à sa portée
et s'y enfourner toute entière. Mais la bouche d'Aurélien
s'éloigna d'elle pour aller mêler sa langue à celle de Fabrice
qui laissa faire. Aurélien commença un mouvement de va-et-vient
qui lui creusa les reins.
Fabrice sentit et comprit qu'il refaisait là des gestes
répétés cent fois sur des filles, et la voix de sa sœur
lui revint à l'esprit. Ce qu'Aurélien venait chercher par
instinct, c'était autre chose, ce qu'il fallait lui donner
c'était ce qu'il ne pourrait pas trouver avec une femme.
Ce qu'il voulait, c'était un homme, un gars bien viril.
C'était le sens caché de la coupe de cheveux qu'il lui avait
imposée d'instinct. Il ne voulait pas un mec efféminé par
des cheveux trop longs, il voulait, mais sans le savoir
du tout, un mec, un vrai, un qui oserait...
Comme naturellement, Fabrice enveloppa Aurélien de ses
bras et le fit basculer sur le côté, puis sur le dos. Entreprenant
à son tour, il ne lui laissa aucun répit, usa d'une force
toute nouvelle, l'attrapa aux mains, lui écarta les bras
et, pesant de tout son poids, des cheveux au menton le lécha
lui aussi. Puis, sans aucune transition, il alla droit vers
sa queue qu'il agaça de coups de langue sur son bout, avant
de gober chacun leur tour les deux testicules bien fermes
enserrés entre ses dents menaçantes. Les cuisses d'Aurélien
s'écartèrent presque démesurément, et il en profita pour
se glisser en dessous et les ramener sur ses épaules. Ainsi
se redressant, il bascula vers l'arrière Aurélien qui se
retrouva jambes en l'air et sans rien pouvoir faire d'autre
de ses mains que se caresser lui-même.
La suite fut pour eux deux comme une aventure hasardeuse,
dont ils ne savaient rien, ni l'inversion obscure qu'elle
allait mettre au jour, ni l'incroyable jouissance qu'ils
allaient y trouver.
Fabrice, qui avait un nez délicat, jamais ne se serait
cru capable d'aller l'enfouir entre une paire de fesses
sans tout de suite en éprouver un irrémédiable dégoût. Et
jamais non plus Aurélien n'aurait pu s'imaginer ainsi passivement
renversé sur le dos, son trou du cul haletant, dilaté de
mille désirs urgents, et attendant soumis le bon vouloir
ravageur d'un dard en rut .
In extremis, c'est Aurélien qui pensa au préservatif et
le réclama à mi-voix entre deux gémissements. Fabrice n'en
fut pas déconcentré, mais s'énerva un peu en déchirant l'emballage.
Il se calma au moment de la pénétration. Il ne fallait surtout
pas faire souffrir Aurélien. Son gland à l'entrée, touchant
les muqueuses exacerbées, il attendit un appel, voulut que
cette bouche anale l'aspirât et l'avalât. Et c'est bien
l'impression qu'il en eut quand, s'enfonçant davantage et
jusqu'à la plus grande profondeur, il se sentit littéralement
happé par ces chairs l'enserrant au plus près. Il prit soin
de se retirer sans rien offusquer, s'offrit de nouveau,
et accéléra lentement ce mouvement jusqu'à le synchroniser
à la respiration d'Aurélien. La jouissance leur révulsa
les yeux et ils en éjaculèrent ensemble le crémeux jus.
Ils s'endormirent très vite.
Faites gaffe, Fabrice et Aurélien ; moi qui vous sait si
possiblement vrais dans l'étreinte, et qui vous aime pour
ça, n'allez pas répudier, jamais, même en votre coin de
cervelle le plus reculé, n'allez pas répudier ce moment
de vérité-là. Même et surtout s'il ne devait jamais se répéter.
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