Le bonheur est dans le foutre. C'est du moins
ce qu'annonçait le titre du film porno que Maxime s'apprêtait
à sélectionner. Ou « dilatations extrêmes », « Venise interdite
», « sodome et fantômes »? Le distributeur automatique auquel
il était abonné proposait pas moins de 150 titres. Pour
tous les goûts: homo, uro, scato, sm... Mais Maxime aimait
avant tout le porno hétéro traditionnel avec l'inusable
trilogie pipe-pénétration-éjaculation. Notamment ceux joués
par de belles filles dans des châteaux luxueux. La marque
de fabrique d'un producteur-éditeur français célèbre.
Depuis le temps qu'il en louait,
il remarquait tout de suite si une évolution se dessinait.
Il avait immédiatement compris que l'éjaculation faciale
deviendrait un incontournable du genre. Son truc était simple:
il suffisait qu'une star s'adonne à une pratique nouvelle
pour qu'elle se répande dans toute la production. Rocco
Siffredi se faisait lécher l'anus par une femme dans son
dernier opus? L'annulingus deviendrait fatalement une étape
de plus en plus prisée que toute actrice aurait à effectuer
entre la pipe et une sodomie. Cela deviendrait même un critère
de recrutement dans les castings pour les actrices candidates.
Les autres acteurs males auraient à découvrir le caractère
érogène de cette zone pour ceux qui ne l’avait pas jusqu’alors
exploré.
Mais la conséquence d'une
telle innovation dépasserait largement la cadre restreint
du monde de la production de films avec "scènes de
sexe non simulées" et "dénué de tout caractère
artistique" comme le définissait les juristes. Il réfléchissait
souvent à l'emprise incalculable de l'imaginaire pornographique
sur les esprits et l'évolution des mœurs sexuelles. Sans
qu'aucune étude puisse quantifier l'influence déterminante
des films pornos sur les comportements sexuels, Maxime était
certain qu'avec la multitude des supports qui permettaient
un accès facile et discret au "X" (chaînes câblées,
cryptées, satellite, vidéo-club, internet bientôt), des
centaines de millier de couples s’essayaient plus aisément
à de nouvelles pratiques. Des hommes se décomplexaient pour
demander des poses inédites. Des femmes se lançaient dans
la sodomie ou la fellation par le fait de voir se banaliser
ces pratiques répétitives dans la production courante. Depuis
le début le milieu des années 80, une part de plus en plus
grande des nouvelles générations s’éduquaient sexuellement
par l’entremise de ces mises en scènes caricaturales du
désir.
Aussi, lorsque de « grands
acteurs » décidaient de sortir du déroulement plan-plan
auquel il s’était prêté parfois des milliers de fois, il
apparaissait sans doute que ces changements aurait des répercussions
majeures à moyen terme. Ces personnes avaient un pouvoir
fantastique sur l’intimité de millions de couples à travers
le monde. La tyrannie des images était devenue telle que
la reproduction inconsciente des comportements était inévitable.
Au-delà même de la sphère
sexuelle proprement dite, ces changements inonderaient les
images, les discours, les références. Ils s’ancreraient
dans l’imaginaire collectif. S’apprendraient d’abord au
primaire sous formes de blagues à la récréation. Puis se
diffuseraient au collège. Les garçons embêteraient les filles
à ce sujet. Au lycée, les toutes jeunes femmes discuteraient
entre elles pour savoir si elles avaient osé « le faire
». Plus tard, les dernières réticentes capituleraient sous
la demande de leur mari et à la vue des films qui travailleraient
à la normalisation de l’acte. La boucle serait bouclée.
A ceux qui n’étaient pas
convaincus, Maxime opposait la théorie du chaos qui veut
que le froissement d’ailes de papillon en Nouvelle-Calédonie
puisse déclencher une tempête tropicale à la Martinique.
Une décision d’acteur porno aux conséquences insoupçonnables.
Disproportionnées.
Déluge de foutre alors. Non.
« Déjà vu » mentionnait l’écran. Retour à la case départ.
Maxime chercha au rayon « nouveautés ». Il sentait derrière
lui l’impatience du quadragénaire qui sortait du bureau,
stressé par sa journée et avide de retirer son porno pour
se soulager. Pour oublier ses petites souffrances quotidiennes,
les contraintes qu’il avait progressivement intériorisé.
La liberté et le désir s’étaient dissous dans le redoutable
piège de la société du travail. Il venait ce soir pour trouver
sa minute de plaisir et l’espace d’un instant, se sentir
exploser de liberté. Heureusement que les films pornos existaient.
Hypocrisie que ceux qui veulent
abolir la prostitution, la pornographie, le tout-sexuel
pensait Maxime. Dans cette société aux pressions toujours
plus croissantes, commerciales, administratives, sociales,
les moyens de se relâcher deviennent indispensables. Le
commerce du sexe devrait même s’organiser sous forme de
service public. Après tout, il s'agit d'intérêt général.
La prostitution réglementée, les femmes - et les hommes
d’ailleurs - seraient payées mensuellement et pas au rendement,
cotiseraient pour leur retraite, paieraient leurs impôts
au titre des « bénéfices commerciaux ». Le nombre de client
par jour serait fixé par décret réglementaire. Le "personnel"
employé verrait ses éventuels dossiers sociaux, fiscaux
et de surendettement passer sur une liste prioritaire au
bout d'un an. Une formation professionnelle de réinsertion
leur serait proposé. Les maisons closes prendraient la forme
d’Etablissement Public. Un contrôle systématique d’hygiène
et de salubrité serait mis en place pour lutter contre toute
forme de maladie et de maltraitance. Les réseaux mafieux
iraient trouver d’autres filons.
Bien sûr, les opposants crieraient
à l’institutionnalisation d’une forme d’esclavage. A l'incitation
à la débauche et au proxénétisme d'Etat. Ce serait plutôt
améliorer un état de fait qui a toujours existé et dont
personne ne viendra jamais à bout. Comme le disait Belmondo
dans un Godard des années 60, on était de plein pied dans
« la civilisation du cul».
L’heure était décidément
aux digressions houellebecquiennes. Maxime revint à des
considérations plus sérieuses. Le distributeur indiquait
que son porno préféré caracolait au sommet du hit-parade
du vidéo-club. Le DVD était disponible. Maxime appuya sur
« envoi » une première fois. Un premier écran lui indiqua
le prix pour une location de 24 heures (5 €). Très cher,
pensa-t-il. Au prix où sont payées les actrices, le réalisateur,
vu les moyens incomparablement inférieurs à ceux utilisés
dans le cinéma traditionnel qui se loue moitié moins prix,
c’était clairement profiter de la soif insatiable de sexe
du genre humain. Comme tout consommateur un peu coupable
de son geste, il accepta. Il appuya une deuxième fois et
une deuxième page lui expliqua que le produit était en cours
de prélèvement. Le film sortit de la machine, il partit.
Laure Sinclair suçait un
type bizarre qui n’arrêtait pas de cracher sur sa bite lorsque
Maxime commença à défaire sa braguette. Un deuxième type
s’invita dans la scène et prit la vedette du x par derrière.
L’actrice coordonnait de façon très professionnelle coups
de langue sur le prépuce du premier et coups de reins bien
appuyés sur la bite du second. Puis, le deuxième type écartela
les deux globes de chair pour laper l’étoile brune sur laquelle
on pouvait distinguer une fine couche de fard.
Le plus dingue dans ces productions
Marc Dorcel, pensa Maxime, était que les filles étaient
poudrées de A à Z. L’esthétique de leurs parties génitales
comptait au moins autant que leurs sourires ou leurs regards
vicieux. Les monts de vénus étaient finement rasés, même
leurs anus avaient fait l’objet d’un soin particulier de
la maquilleuse.
Maxime abordait lui aussi
sa séance de masturbation en professionnel. Son objectif
était de faire coïncider sa jouissance avec l’image la plus
sexuellement stimulante. Il connaissait le film par coeur
et savait que ce moment était sur le point d’arriver. Alors
que les secousses de sa bite annonçait inexorablement la
fin de sa branlette, il pressa sa verge à la base pour empêcher
la circulation du liquide séminal. Malgré tout, une petite
larme de sperme transparente arriva à s’échapper de l’urètre.
Il reprit un rythme cadencé,
ni trop lent pour ne pas débander, ni trop rapide pour bien
maîtriser la montée de son plaisir. Curieux geste, pensa-t-il,
comme si il venait de découvrir fois ce mouvement qu’il
avait dû effectuer un million de fois.
La façon dont il observait
son gland alternativement recouvert/découvert de sa petite
peau était presque comique.
Un petit animal qu’il fallait
dompter, directement relié à la case plaisir de son cerveau.
Un organe qui obéissait à des règles précises, bête, réagissant
dès lors que certaines conditions semblaient réunies.
Une chatte, une bouche, un
cul et la trompe molle se gonflait de sang jusqu’à devenir
dure comme un morceau de bois.
Un réflexe pavlovien avec
un schéma conditionné très classique.
Son prépuce avait réparti
le sperme sur l’ensemble de son gland qui, du coup, était
devenu luisant. Une odeur âcre et forte se dégageait de
son sexe poisseux. Dégueulasse, pensa-t-il en humectant
délicieusement ce parfum si particulier.
A présent, Laure Sinclair
se faisait sodomiser tout en faisant une fellation. C’était
tout à fait irréaliste pensa Maxime. Il y avait le scénario
débile, les prétextes grossiers, les dialogues dénués de
sens. Mais surtout, il y avait le caractère fondamentalement
anti-naturel du déroulement de l’acte sexuel.
Le meilleur exemple était
la sodomie. La sodomie diffère par sa nature d’une pénétration
vaginale. A l’écran, le type entrait en elle brutalement
et facilement comme dans un vagin, sans préparation. On
changeait juste de trou. Pas d’accord, pensait Maxime. Alors
que le plaisir vaginal trouve sa source dans une excitation
physique – vaginale ou clitoridienne – la sodomie est essentiellement
un plaisir cérébral. Il y a mille manière de s’agiter dans
un vagin, de jouer avec les attentes, les rythmes, la façon
de mélanger les corps. Et puis, il y a la sodomie avec son
code singulier, la façon très progressive de parvenir jusqu’à
cet anus qui fait l’objet de tant de fantasmes. Une barrière
psychologique qu’il faut faire franchir à sa partenaire
en démontrant par la pratique le caractère hautement érogène
de cette zone. Cela requiert un cheminement sans faille,
nécessaire pour arriver à surmonter les appréhensions, les
interdits, pour enfin poser triomphalement son sexe à l’entrée
de cet orifice si tabou. Peu de pratique sexuelle demandait
autant de préparations, de mise en condition. La charge
érotique en est logiquement décuplée.
Dans le film, le type disait
juste à la soubrette qu’il la lui mettait bien profond dans
le cul. Bon…
La scène tant attendue arriva.
Une superbe blonde arrivait de nulle part pour se déshabiller
sans rien dire et rejoindre un mec qui se masturbait gentiment
dans une baignoire. Toujours sans prononcer un mot, elle
saisit la queue pour l’enfourner sans condition dans sa
bouche ; puis se plaça sur le type en écartant les jambes.
La caméra s’approchait de ce cul qui se remuait de façon
très sûre sur le muscle de chair visiblement érigé à son
seuil maximal. Soudainement, elle ralentit diaboliquement
la cadence. Seule la partie inférieure de son corps bougeait,
de bas en haut et de haut en bas, remontait puis descendait,
faisant coulisser le membre entre ses fesses. Une véritable
prise de pouvoir sur le type qui n’en pouvait visiblement
plus.
Maxime accéléra le mouvement
et sentit le plaisir venir le submerger. Il se lâcha sur
son ventre et se sentit assaillit par mille pensées fulgurantes.
L’impression de parvenir à une vérité ultime et indéchiffrable.
L’instant d’après, il se sentit
un peu ridicule. Et incommodé par cette traînée . Au fur
et à mesure, le sperme perdait de sa consistance et s’écoulait
plus facilement sur les bords de son torse nu. Il se leva
pour prendre un mouchoir et s’essuyer. Il stoppa le lecteur
DVD et éteignit la télévision.
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